Les rumeurs qui tuent - version traduite en français

Publié le par Pascal



Je suis fils d’émigrant.
Je suis né en France, mais mes parents sont originaires de Gafaria, un petit village appartenant à la commune de Vermoil. Mes ancêtres y sont enterrés dans  le cimetière municipal et lorsque mon heure viendra, mon vœu le plus cher est de voir mon corps  retourner à cette terre natale. J’estime ainsi qu’il est de mon droit, voire de mon devoir, de dénoncer les mentalités désuètes qui persistent encore à corrompre l’âme de certains de ses habitants.



Malheureusement, mon père s’est donné la mort en Mars dernier.
D’emblée, la douleur fut immense, incommensurable. Nous fumes, ma famille et moi, accablés par l’incompréhension  la plus totale, la culpabilité la plus sombre comme il est de rigueur en pareil cas de suicide.
Les jours et les mois passèrent, nous lutâmes du mieux que nous pûmes pour garder la tête hors de l’eau, mais ce fut sans compter sur les vagues de rumeurs qui vinrent, peu à peu, échouer  sur le rivage sinueux de nos oreilles. Ces « on dit » apportaient dans leur sillage une peine terrible puisqu’ils émanaient de certains de nos voisins et familiaux. En outre, ils réalisaient l’exploit de parcourir les deux mille kilomètres entre Vermoil et Paris, avec ce rythme lent, sûr et bien connu, des caravanes maures traversant le désert.
Nous fumes accusés de n’avoir rien vu et de n’avoir rien fait pour aider mon père, de ne pas avoir suivi les règles subtiles du deuil «  à la portugaise », de gaspiller l’argent qu’il s’était sacrifié à économiser. Nous fumes les cibles des calomnies les plus basses, qu’il est inutile par ailleurs de relayer ici, afin de ne point gâcher ces si précieuses feuilles de papier. Nous savions, de plus, que ce tintamarre silencieux n’était que la pointe émergée de l’iceberg.


Écoutez, soyons sérieux : qui peut s’aliéner le droit de pénétrer l’intimité d’une famille ? Qui peut se permettre de rentrer dans des sujets si personnels où de surcroît  il ne connaît rien ? Qui peut juger et jouer d’une manière si cruelle avec la tristesse de ceux qui souffrent, au lieu de leur apporter du réconfort ? Je vous le dis : personne. S’il faut balayer, balayons chacun à notre porte avant que de vouloir balayer devant celle des autres .

« Ne jugez pas afin de n’être pas jugés : car, du jugement dont vous juger on vous jugera (…)
Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l’œil de ton frère. » (NT- Livre de St Matthieu 7,1-5).
Ainsi parlait Jésus, déjà témoin en son temps du frétillement pervers et strident des langues de vipère.
Triste est de constater que cette sainte parole n’a visiblement pas eu le temps d’arriver à toutes les oreilles de Vermoil, même après deux mille ans d’intense « éducation » biblique et catholique. Peut être que les prêtres ne sont pas disposés tant que cela à répandre la bonne nouvelle, ou peut être que mes compatriotes ont les portugaises beaucoup trop ensablées ? Franchement, à quoi sert de confesser ses péchés en entrant dans une église si c’est pour en commettre instantanément d’autres en dénigrant son prochain lorsque l'on en ressort? Ceci ne correspond en rien à la bonne religion d’Amour et de Respect qui m’a été enseignée par mes parents.


Seuls ma mère, mon frère ma mère et moi connaissons le calvaire qu’ont été ces mois, ces années, au cours desquelles nous avons essayé d’extraire mon père de l’obscurité, de la mauvaise orientation de son esprit.
Il lutta et nous luttâmes mais le mal avait des racines bien trop profondes pour être atteintes. Voilà pourquoi ni les médecins, ni les psychiatres consultés ne purent en rien changer la donne et sauver mon père.
Le  « bien paraître » ce venin qui vous tue de mort lente, lui avait été instillé insidieusement depuis sa tendre enfance, jour après jour, années après années, par la société dans laquelle il avait grandi. Il savait mieux que personne comment fonctionnait et comme fonctionnerait toujours le système. Il savait combien les Hommes, et bien plus encore les portugais des petites bourgades, aiment parler, juger, attaquer, marginaliser, ridiculiser tout comportement qui s’éloigne de la ligne, de la norme imposée par les phalanges les plus archaïques de la Tradition. Mon père, parce qu’il avait un cœur bien trop grand, souffrait beaucoup quand lui ou quelconque élément de sa famille était victime de la méchanceté ou de la jalousie du jugement populaire. Ainsi pour se protéger et nous protéger il choisit la seule défense qu’on lui avait sournoisement appris, et fatalement, la seule dont il était capable : plaire aux autres avant que de se plaire à lui-même, Paraître avant d’Être.
Il tomba et nous tombâmes ainsi dans le piège, si bien que paraissant fort jusqu’au final, la possibilité même d’un suicide nous parut impensable. C’est pour cela que la nouvelle de son départ fut un choc si grand pour tous ceux qui connaissaient sa force et sa joie de vivre, ou plus précisément, pour tous ceux qui pensaient le connaître.


En vérité, je vous le dis, ce sont les rumeurs qui tuent. Ceux qui aujourd’hui nous accusent et nous jettent la pierre, sont ceux-là mêmes qui ont condamné à mort mon père depuis bien longtemps, parce qu’ils ont répandu et continuent à le faire, les mauvaises graines du Paraître et des mots injustes.
Je ne donnerai ni détails, ni noms pour ne pas alimenter à mon tour la machine infernale. Je laisse chacun affronter en son âme et conscience, sa culpabilité ou son innocence dans le cas présent. Et qui plus est, qui suis-je pour juger ? Nous savons tous que seul Dieu détient se droit sacré.

Si Dieu existe, j’ai une foi absolue en sa justice et c’est ce qui me donne encore un peu de joie. Un Homme peut être trompé mais personne ne peut tromper Dieu. La Vérité finit toujours par ressurgir. Aujourd’hui j’ai la certitude que mon père repose en paix parce qu’il était un Homme profondément bon, un Homme qui, sa vie durant, a toujours tenté d’être le meilleur et le plus juste possible. Quant aux apôtres du « bien paraître », ces disciples de la Rumeur, ceux qui se promènent souvent parmi nous déguisés en saints, j’ai bien peur qu’ils soient surpris lorsque que, pour sûr, ils entendront de la voix du seigneur et à l’heure du jugement dernier : « Je ne sais d’où vous êtes ; éloignez-vous de moi vous tous qui commettez l’injustice. Là seront les pleurs et les grincements de dents, lorsque vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous, jetés dehors. » (NT- Livre de Saint Luc  13, 27-29).






Il ne me reste maintenant que peu de choses à ajouter, contraint et résigné que je suis à toujours voir les meilleurs partir, tandis que les moins bons restent là, à pourrir la terre, l’âme et le cœur des Hommes.

Puisse ce cri réussir à redonner tout le silence, le respect, la dignité auxquels la mémoire de mon père et le deuil ma famille ont le droit le plus inaliénable.

Puissent ces mots soulager un peu tous ceux qui souffrent de la méchanceté des rumeurs.

Puissent encore quelques-uns être saufs. Il n’est jamais trop tard pour demander pardon.










Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Cher Pascal, Sylvia, Tony et votre maman,<br /> Je suis sure que votre joyeux et généreux papa que j'aimais beaucoup est en paix. Il a semé en vous la graine de la lumière qui éclairera la suite de votre chemin. Restez unis comme vous l'êtes et comme il l'a toujours été avec vous. Ces rumeurs disparaitront et personne n'est dupe.Espero que essas pessoas que vos fizeram mal talvez sem imaginarem o sofrimento que causaram, vos pediram perdao.Nao fiquem com ressentimento e perdoem também.<br /> Mon Dieu... il ne savent pas ce qu'ils font.<br /> Um grande abraço de vossa amiga Lucia.
Répondre
C
Cher Pascal,je me suis surprise à surfer sur ton blog après des mois et je viens de lire ce texte... Si juste...Loin de moi l'idée de vous juger, de critiquer ou quoi que soit, lors du décès de votre père. Comme tous, je me suis demandé "pourquoi?" mais je savais déjà... Ce venin que tu décris, ce "bien paraitre", je le connais trop bien, j'ai été élevée avec et je le vois couler dans les veines de mes parents, je le sens dans les miennes bien trop parfois... Comme il m'effraie souvent, comme je le dénonce à grand cris, m'opposant à ma famille bien des fois...Je voulais juste vous dire que je partage votre peine et que malhaureusement il est bien difficile de taire les rumeurs... Laissons-les parler et le Seigneur juger...Ton père est en paix, puissions nous le rejoindre un jour nous aussi et ne plus nous soucier de tous les maux qui envahissent ce monde...Tendrement, ton amie
Répondre
S
Bonjour Pascalcela fait plus d'un an que le mal s'est produit et je ne t'ai pas contacté, j'avais très peur et très mal, je ne voulais pas m'immisser dans ta profonde douleur ; mais je comprends ta révolte, moi aussi j'ai entendu ces rumeurs et je les ai banni, je vous ai défendu mais sans le crier sur les toits. Je savais que c'était faux, que vous faisiez tout pour ton père. Je suis malheureuse de vous savoir jugés de cette manière. Garde la tête haute. Je pense à toi, Silvia, Tony et ta mère. Sandra
Répondre
P
Olá Pascal. Cheguei cá, finalnente. Já te enviei convite para leres tb o meu blog, que é privado agora.Adorei as fotos e as imagens que as palavras deixam perceber. bj
Répondre
U
Cher Pascal, Mefies-toi de ces rumeurs qui ne font que tuer a petit feu. "Meme si je tombe, je me releverai" disais Paul a ses ennemis. Je suis sur que le bon Dieu sait a quel point vous avez souffert de la mort subite de votre cher Pere et qu'il vous relevera de cette tristesse. Tenez fort, priez et "laisser parler les gens, c'est leur nature" dis un proverbe Rwandais.Amicalement, Uzie
Répondre