Le mémorial du génocide de Kigali

Publié le par Pascal

Voici donc les derniers articles consacrés à ma saga africaine.
J’ai décidé d’écrire au présent pour garder la sensation d’instantanéité de la narration.
C’est à peu près ainsi que je les aurais écrit si j’étais resté sur place en ces premiers jours d’avril 2007.



Me voici donc aujourd’hui en chemin vers le mémorial du génocide de Kigali. J’attends ce moment avec impatience car j’ai hâte d’en connaître un peu plus sur les faits qui se sont déroulés en 1994. Le musée se trouve au milieu d’un quartier populaire ce qui permet, lors de mon passage en mototaxi, de m’imprégner un peu de l’agitation humaine, des pistes dont la couleur ocre et la poussière vous saute aux yeux, et de sentir la force bien curieuse des regards qui me suivent.



Le mémorial est un bâtiment très moderne et l’exposition des faits y est très claire, digne et didactique. Voilà à peu près ce qu’on y apprend :
•    Avant le génocide, la population du Rwanda était de 10 millions de personnes dont 90% de hutus et 10% de tutsis.
•    Ce sont les colonisateurs belges qui au début du siècle ont séparé arbitrairement les deux ethnies soit par leurs caractères physiques (peau plus blanche, nez fin, silhouette élancée) , soit par la profession (éleveur = tutsi, paysan= hutu). Ils ont également rendu obligatoire la mention de l’origine ethnique sur toutes les cartes d’identité, alors que rien ne le nécessitait puisque le peuple rwandais n’a jamais fait qu’un seul et vivait en paix auparavant.
•    Pour résumer rapidement, les Belges ont ensuite mis la minorité Tutsi au pouvoir ce qui a amené forcément à des excès  de pouvoir et à une exaspération de la part des Hutus qui reprennent le pouvoir au début des années 60 pour ne plus le perdre par la suite.
•    A compter de cette date jusqu’en 1990 ont déjà lieu des épisodes d’exécution massive contre les tutsis.
•    Le mouvement se radicalise alors avec la parution dans un journal des « 10 commandements du bon hutu », ode à la haine et à la ségrégation.
•    Création des milices extrémistes hutus dites « interahamwe ».
•    La Radio des Mille Collines déverse sa propagande antit-tutsi sur les ondes.
•    Le FPR, l’armée des rebelles tutsis rentre au Rwanda à partir de l’Ouganda.
•    La France apporte très rapidement son aide logistique et fournit des armes lourdes aux forces hutus pour stopper l’avancée du FPR.
•    Peu avant le début du massacre  des  informations très sérieuses et précises quant à l’organisation du génocide sont révélées par un haut placé anonyme des forces hutus à Dallaire le commandant des forces onusiennes. Elles seront d’ailleurs envoyées à l’ONU mais rejetées. 
•    Dix casques bleus belges sont sauvagement tués ce qui entraîne le retrait presque total de cette force d’interposition.
•    Le 06 Avril 1994 l’avion du président Habyarimana est abattu à l’aéroport de Kigali
•    Aussitôt dans la nuit, premières barricades dans la ville et le pays. Les premiers à être tués sont les opposants et tous ceux figurant sur des listes préparées depuis des mois.
•    3 mois de tueries qui débouchent sur 800.000 à 1.000.000 de morts, principalement des tutsis (soit la presque totalité de l’ethnie) mais aussi quelques hutus parmi les modérés et ceux qui refusèrent de participer au massacre.
•    Quelques-uns survivront dans les marais jouxtant Kigali et un millier (principalement des tutsis fortunés ou ayant de bonnes relations)  au fameux « hôtel des mille collines » mielleusement mis à l’honneur par Hollywood dans « hôtel Rwanda ».




Après le rappel historique, la visite se termine difficilement sur des centaines de photos de disparus pris dans leur vie quotidienne, souvent le sourire aux lèvres avant le drame. Des gens comme tous les autres, des gens comme vous comme moi. Puis mon regard reste figé sur une petite Bible, presque semblable à celle que je porte avec moi dans ce voyage. Les pages sont jaunies et maculées de tâches sombres et séchées.  J’imagine les ultimes instants de la personne ayant serré ce livre contre son cœur pour la dernière fois. J’imagine l’espoir et la foi qu’il a du tenté d’y puiser pour ne pas croire à l’impensable, avant d’être sauvagement mutilé à son tour. Mais pourquoi Dieu l’a-t-il abandonné ?


Bien sûr que Dieu est responsable s’il existe, puisque par définition il est l’origine de Tout. Mais l’Homme l’est encore plus, car jusqu’à preuve du contraire lui seul possède la conscience de faire ce qui est bon ou ce qui est mal. Je ne crois vraiment  pas en un Dieu qui intervienne sur notre planète, ni en bien ni en mal.
L’homme est seul face à sa conscience et au choix qu’il peut faire à chaque seconde de sa vie entre destruction ou construction.
Combien d’hommes n’ayant pas correctement fait leur examen de conscience sont-ils   responsables de cette tragédie ? Combien d’hommes depuis cent ans auraient pu éviter le pire en se posant simplement cette question « est-ce que ce que je fais est juste ? », chacun à leur niveau ?
Tous ces Rwandais qui ont tué de leurs propres mains leurs frères, ces journalistes qui ont propagé l’appel au meurtre, ces religieux qui ont semé la haine et craché au visage de Dieu, ces politiciens d’un coté comme de l’autre qui ont joué directement ou indirectement avec le sang des innocents pour assouvir leur pouvoir, ces français qui ont appuyé politiquement et militairement le régime génocidaire, ces casques bleus et ces hommes de l’ONU qui n’ont rien fait, ces belges qui ont séparé les premiers le pays en deux ethnies et aussi tous ceux d’entre nous qui savaient et qui n’ont rien dit, tous ceux là et encore bien d’autres ne sont-ils pas responsables ? Nous ferions mieux de nous blâmer nous mêmes avant que de blâmer Dieu qui doit lui même déjà bien se repentir des bêtises qu’il a faites.




 À la fin du parcours, je remarque une certaine agitation dans une des salles supérieures du bâtiment. En m’approchant je reconnais mes amis du Festival du Film Rwandais, qui sont décidemment ultra-présents, animant une conférence avec plusieurs cinéastes internationaux sur le thème du génocide. Timidement, à la fin de toutes les interventions je finis par prendre le micro et témoigne de l’impression très désagréable d’être français au regard de ce que je viens d’apprendre. Pour la première fois de ma vie, je ressens le même type de culpabilité trans-générationnelle que peut percevoir un allemand  lambda de mon âge, par rapport à la Shoah.
Je leur promets donc d’un ton ridiculeusement héroïque, tel un pourfendeur de Justice, qu’à mon retour au pays, je ferai tout le nécessaire pour informer mes compatriotes de l’implication indiscutable et honteuse de la France dans le génocide.




Affaire à suivre…



Publié dans La route

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