Ibo

Publié le par Pascal

 



Apres l'emotion du mariage de Pemba je me mets en route pour Ibo, l'une des des iles de l'archipel des Quirimbas dont tout le monde parle tant. Cette fois pas de transport galere ou de chiapas vomissantes de voyageurs, je retrouve le confort occidental dans le 4/4 de Dinis un portugais rencontre en chemin. Cela fait du bien d'avoir de l'espace pour ses jambes, une musique douce et sutout la possibilite de pouvoir s'arreter quand on veut et ou l'on veut : liberte supplementaire. D'ailleurs cela me donne des idees pour la deuxieme partie du voyage... Bref, en compagnie de ce portugais, d' Amish un zimbabween et d'Angela une italienne nous voila sur la route dans une traversee digne du Paris Dakar avec moultes 180 degres tant la route est mauvaise et boueuse. Nous croisons sporadiquement des chasseurs a l'arc qu'on dirait sortis tout droit des recits de Livingstone ainsi que des femmes portant des kilos de bois sur la tete de plus en plus lourds. Apres cinq heures de route nous sommes obliges de passer la nuit a Quissanga le port qui nous permettra demain de rejoindre Ibo dans une petite embarcation a voile. L'accueil de Isufo et son merveilleux curry aux crevettes ne suffisent pas pour compenser ma fatigue fievreuse ressemblant a un gros rhume ou une bataille acharnee contre un petit virus local. C'est donc harasse que je rejoins ma tente sarcophage, enquiquine par les hourras des enfants buvant des yeux le bollywood de la tele voisine et par le son assourdissant venant d'un bar un peu plus loin.

La traversee se passe sans encombre et je me laisse bercer par les vagues, par le Mani le nouveau dialecte local, et par la douceur des visages de ces femmes a la peau noire si particuliere. Ici presque plus personne ne parle portugais, me voila donc en pleine immersion a essayer de jouer au pictionary mimeur pour me faire comprendre. A la demande du skipper je sors ma guitare pour chantonner quelques airs qui susciteront dans l'assistance plus de curiosite qu'un delire des foules.



Hautement deshydrate, c'est presque comme un mirage que m'apparait l'ile de Ibo. Me voila devenu Capitaine Haddock voulant etrangler Tintin dans le desert en l'ayant pris pour une bouteille de whisky! Mais ici le mirage rejoint la realite. Entrer dans Ibo c'est presque arriver dans la  ville fantome de Platoon a la recherche du deserteur Marlon Brando, avec les singes en moins. L'ile du Mozambique en comparaison etait un Resort 5 etoiles: les rues sont desertes, les batisses coloniales sont delabrees mais toujours vivantes meme si etouffees, pour la plupart, par des lianes a l'envahissement impressionant.....Angkor, toujours cet Angkor a la portugaise. Outre les arbres les chevres aussi semblent avoir pris possession de l'espace. On les voit partout, sur les anciennes terrasses, dans les maisons, sur amandiers geants...Les batiments datent d'un siecle et demi du temps ou l'ile etait un des points de commerce les plus vivants de la cote orientale de l'Afrique: noix de cajoux, tissus, fromage et produits pour les colons, bois precieux, tous les produits transitaient par ici. La dimension des maisons et des entrepots temoigne de cette richesse ancienne.

Joao Baptista Historiador l'un des ancetres de l'ile me racontera plus tard toute l'histoire de cet antique comptoir. Et c'est avec emotion qu'on le regarde sortir ses vieux cahiers griffonnes de dates anciennes, que l'on ecoute ses histoires, a savoir comment il a ete emprisonne dans la forteresse par la PIDE (la police d'etat de Salazar) et comment il a reussi a s'integrer presque seul noir parmi les colons. Et c'est effectivement douloureusement que l'on entre dans les longues pieces froides de cette forteresse, car les cris des prisonniers politiques tortures avec sadisme resonnent encore contre les murs cribles par les balles des executions sommaires.




 Autre fait marquant, la difficulte de l'acces de l'ile et son passe d'ancien port de commerce esclavagiste font que les gens sont de prime abord distants voire peureux. A chaque pas repond  l'echo d'un "zungo, zungo" crie par des enfants deguerpissant devant nous. Cela veut dire litteralement "senhor" en portugais et "maitre/ monsieur" en francais. C'est ainsi que sont designes ici les blancs.

La nuit la ville devient de plus en plus enigmatique car l'electricite ne fonctionne plus. L'obscurite est donc encore bien plus enveloppante et noire qu'ailleurs. On se promene au hasard des ruines et a taton, dans ces rues d'ou surgissent a la faveur de la lumiere d'une bougie, des corps allonges  tel des fumeurs d'opium  ou assis dans le noir chuchotant entre eux. On redecouvre ainsi toute la beaute de l'eclairage antique lorsque l'on surprend, par une fenetre, un homme lisant a la lampe a petrole. Les effluves de l'alcool de papaye local et ses ravages sur les hommes embaument l'air de leur saveur collante.

 



Un matin j'ai la chance de pouvoir assister au debut d'une cermonie unique. Je suis une procession rythmee par des chants aigus, plusieurs  hommes portant sur leurs epaules une etrange tente. Il s'agit de la  fete de circoncision des enfants musulmans du pays. Ceux ci vers 6 ou 7 ans sont retires de leur quotidien pour etre otes de ce petit morceau de peau. Puis ils restent confines entre eux pendant deux ou trois semaines, temps necessaire a la cicatrisation. C'est un moment primordial de leur vie puisque les anciens profitent de ce temps de retrait pour leur apprendre les regles de la vie et de la communaute. Ils commencent a devenir des hommes, religieusement parlant, a partir de cette date,et apprennent leur responsabilite. Ce sont eux que l'on avait cache dans cette tente, et que l'on portait comme des rois jusqu'au lieu de ceremonie final. Arrives sur place, on separe les hommes des femmes. La gente masculine se rassemble pendant une heure autour du chef religieux qui repete et chante pour tout le monde les paroles saintes relatives a l'education et l'avenir des enfants, afin de prier Dieu de bien  vouloir les recevoir. La gente feminine elle, se retrouve en chantant pour feter le rite de passage de leur fille, a qui l'on va percer les oreilles pour la premiere fois. Puis vient l'heure du repas, le meme riz traditionnel au safran qu'a Pemba, auquel je suis convie bien evidemment a manger avec les doigts. Les hommes se retirent, puis seulement les femmes peuvent manger a leur tour (oui je sais le MLF va encore crier). La ceremonie est interrompue l'apres-midi pour reprendre le soir. Les enfants rois sont reunis autour d'une table et tombent presque le nez dans leur gateau tant ils sont epuises par l'experience de leur retraite, et par l'attention qu'on leur porte. Place ensuite au defile des parents ou amis qui veulent participer aux frais des festivites. Ils posent les billets sur la table et distribuent des bonbons au privilegies assis autour des enfants - dont je fais partie car je vais enregistrer plus tard leur chants. Plusieurs rangees de femmes aux cheveux voiles sont agenouillees face aux musiciens. La musique commence toujours lentement puis s'accelere jusqu'a atteindre un acme de deux minutes. A ce moment les danseuses-chanteuses se dressent sur leur genoux et entament une ondulation harmonieuse dans une frenesie ahurissante! Apres plusieurs heures de ce spectacle, je rentre dans mon humble pension guide par des femmes qui m'aident a retrouver mon chemin, moi perdu au milieu du village. Je garderai longtemps en souvenir la serenite de ce ciel etoile apres tout l'agitation de la journee!

 

Le lendemain je parle avec Rachid Sufu le gentil joailler et organisateur de la fete passee. Il me dit qu'il a ete decu car nous ne sommes pas reste jusqu'a la fin de la ceremonie avec Angela! Il aurait aime que nous en profitions encore plus. Il m'avoue avoir aime notre presence. Moi qui croyait gener, et n'osait pas deranger! Quelle magnifique recompense que ses paroles. Quand on rentre chez quelqu'un avec respect on ne profite pas des gens, au contraire on les valorise car nos yeux et notre saine curiosite les rend beaux et dignes. Leur existence est indiscutable et nous sommes la pour en temoigner. Ce sacre coquin  de Rachid  terminera notre entrevue en me conseillant de me faire circonciser non pas pour ameliorer mes pouvoirs religieux, mais bien decupler mes pouvoirs.......sexuels! Chacun y prend plus de plaisir apparemment.......!? Je vais quand meme attendre un peu si vous le voulez bien!

 


Je fais ensuite connaissance de Sufu Sufu, le frere de ce dernier. C'est  un joailler mais egalement un medecin traditionnel. Assis face a une table entouree d'ecrits coraniques et de livres medicaux ,il m'explique genereusement comment fonctionne ses traitements. Il me montre meme les manuscrits qu'il a compile le long de ses longues annees d'initiation avec les grands maitres des iles avoisinantes. Tout est ecrit en arabe et les formules et dessins donnent aux ouvrages une allure plus kabbalistique que medicale. Les traitements sont un subtil melange d'herbes, de petites scarifications et de formules coraniques. Les indications sont diverses:  gonorhees, impuissance, thrombose, folie, chance en amour, jeux , travail, faire revenir sa femme...etc.... Bien sur on est pas tres loin du sorcier-guru qu'on trouve a Barbes mais en y regardant de plus pres on retrouve dans le discours de Sufu des caracteristiques inalienables gage d'une pratique digne : 

  • l'humilite: ce n'est pas le medecin qui traite mais la nature ( ou Dieu si vous voulez)
  • le cursus: de longues etudes avec des grands maitres
  • limites des traitements: quand il sait que sa medecine est inefficace il reoriente vers une autre specialite
  • l'argent est secondaire dans la medecine , il ne doit pas etre l'objectif premier du medecin

Ces quelques points essentiels pour etre un bon therapeute j'en ai fait ma certitude, personnellement, tout au long de mes annees d'experience. Il est donc assez incroyable d'entendre les memes conclusions par la bouche d'un guerrisseur, dans un coin paume de l'Afrique, dans une culture radicalement differente de la mienne....... Qui peut alors douter de l'Unite, que tout converge vers un point? L'important n'est pas la discipline (medecin, osteopathe, guerisseur, sorcier....) mais bien l'Homme dans la discipline. Si l'homme est bon dans son coeur, il se posera les bonnes questions, il tentera d'etre juste,  il travaillera bien et avec respect, il sera bon dans sa discipline et le traitement pourra fonctionner.......dans certaines limites bien entendu! Je suis certain d'ailleurs que malgre son cote sorcier-grigri,  Sufu est un bon medecin. D'ailleurs d'apres ce qu'il me dit il est tres demande car il est different, il met le traitement avant l'argent.

Decidemment ce voyage est riche en surprises. Je quitte Ibo avant de finir comme Dimitri, le francais moniteur de plongee du coin.Il s'est installe sur l'ile il y a quelques annees et a cause de l'isolement et d'un cote mystique un peu trop prononce a mon gout, est parti un peu trop haut, loin des gens. Et ce n'est pas du tout ce que je recherche bien au contraire....

Je pars bientot pour la Tanzanie direction Mtwara.

Affaire a suivre........

(CF. PHOTOS IBO)

 

 

 

Publié dans La route

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