Kili et safari

Publié le par Pascal

Le temps des pirates n'est pas tout a fait revolu. Le Flying Horse, le gros ferry qui doit quitter ce soir Zanzibar, reste a quai et ne partira qu'a trois heures du matin par peur d'etre harponne par des navires hostiles, notamment somaliens. Les autorites du bateau ont reserve aux deux ou trois occidentaux que nous sommes , une salle VIP ou quelques matelas s'amoncellent gracieusement. L'ambiance est tres agreable a bord, pas tout a fait la croisiere s'amuse tout de meme. L'etage inferieur est climatise et le ponton superieur deborde de corps, de jambes cherchant un espace pour un peu de confort. Je me joins a une table de tanzaniens ou je suis accueilli encore une fois par un gentil "Karibu"! Apres avoir joue au Bao (le jeu de go local) avec une femme assez perfide pour profiter de mon inexperience en la matiere et tricher malicieusement, me voila a discuter dur avec un jeune homme qui me bombarde de questions. Il est persuade qu'en Europe tout est parfait et que les gens sont tous heureux. J'essaie tant bien que mal de lui expliquer que la Vraie richesse n'est pas dans l'or (meme si necessaire) mais bien ailleurs, et gratuite en plus...! Je me vois contraint malgre moi, d'argumenter sur la base de certains passages bibliques. J'essaie de repousser au plus loin les relents proselytes de mes paroles et tente de garantir la liberte confessionnelle de cet homme, musulman de surcroit. Je m'amuse de voir poindre en moi ce cote presque missionnaire, precheur de bonnes intentions, d'autant plus que ce n'est pas la premiere fois que cela arrive dans ce voyage. J'ai evidemment beaucoup de convictions que je ne peux expliquer ici en quelques mots, mais ne vous inquietez pas je n'en suis pas encore a debusquer les ames perdues facon Temoin de Jehovah ou a frapper aux portes comme les mormons dans "Captain Orgasmo" pour les connaisseurs!

 


A peine le temps de debarquer au petit matin sur le port de Dar, et me voila deja dans le bus en direction de Moshi la ville la plus proche du mythique Kilimanjaro. Cette montagne se montre bien timide et ce n'est qu'a la faveur de vents amicaux chassant les nuages de sa cime, que les neiges eternelles se devoilent enfin. Je plonge sous la douche de mon hotel et n'en ressort que pour affronter la nuee de "fly catchers" qui vrombissent dans le hall d'attente... Il faut une certaine patiente et une certaine delicatesse pour ne pas succomber a sa propre agressivite face a ce deferlement de "my friend you want to climb Kilimanjaro?". Apres tout, ces gens essaient de survivre et de gagner un peu d'argent alors il faut tacher de rester poli malgre le volcan qui s'agite en nous. Il faut dire que l'histoire est tentante: qui n'a jamais reve de grimper le sommet de l'Afrique? Le seul hic c'est qu'il faut debourser la modique somme de 110 dollars par jour rien que pour les droits d'entree dans le parc, et qu'il faut au minimum 5 jours pour atteindre le sommet, plus les frais d'agence, faites donc le calcul! Cela fait un peu cher la montee, surtout pour un chemin, semble t 'il, truffe de sacs plastiques et d'une cinquaintaine de randonneurs au bas mot par jour! Je laisse donc le reve pour aujourd'hui et le garde pour une prochaine fois. Je decide neamnoins de me rapprocher un peu de la bete et de me faire une petite ballade sur ses flancs, a Marangu. Toujours pas de pic a l'horizon. Ha, sacre coquin de Kilimanjaro! Le spectacle des petits villages tanzaniens traverses par de petits ruisseaux vigoureux, la population Chaga que mes quelques mots de swahili n'arrivent pas a emouvoir, les apiculteurs et fermiers rencontres en chemin, le relief des vallees que je redecouvre apres 2 mois sur la cote, bref tout cela suffit a mon bonheur. C'est en quelque sorte mon Kilimanjaro a moi, bien plus personnel que celui des grandes cordees.

 




Je rejoins par la suite Arusha, la ville epicentre du tourisme tanzanien car elle est le point de depart de tous les treks du coin et de tous les safaris. Inutile de vous decrire l'ambiance un peu penible et sans ame de cette ville. Seule une petite ballade dans le quartier populaire ou se trouve mon hotel me donne un peu de reconfort. Non pas a cause des prostituees qui sont les pauvres animaux traques par les locaux en quete de safaris sexuels, mais bien par l'atmosphere vraie du lieu et de la gentillesse des tenants des vieilles gargottes qui s'etalent sur le trottoir. Le lendemain je suis bien oblige de me soumettre au difficile jeu de trouver la bonne compagnie de safari qui pourra m'amener au nirvana pour pas trop cher. Malgre l'apparence delabree de leur agence je choisi de partir avec les "bush baby safari". Je decide de leur faire confiance sur les bons conseils de Raymond (non je ne mens pas il est bien tanzanien et ce n'est pas un bidochon!) , l'ami de Jonas un commercant de Zanzibar avec qui j'avais eu de poignantes et interessantes discussions. Bien  entendu l'odeur hautement alcoolisee de l'haleine de notre bon Raymond me met la puce a l'oreille quant au degre de confiance que je suis pret a lui acorder ainsi qu'a son agence, mais je me dis que je ne vais pas passer trois jours a chercher l'agence parfaite, surtout que eux ont un depart pour demain matin.... comme par hasard....

 


Je me couche avec les noms magiques de Serengeti, Cratere Ngorogoro, Lac Manyara comme uniques berceuses.... Je me revois tout petit, a la bibliotheque municipale jouxtant la maison familliale a Carrieres Sous Poissy, devorant tous les livres d'animaux des etageres, connaissant tous les noms d'etres vivants pouvant peupler cette belle planete, je revis toutes ces heures passees sous la protection de Micheline, la maitresse des lieux., aux cheveux si longs et soyeux....Le reveil est un peu plus douloureux : le safari est reporte a demain. Cela commence bien!. Heureusement ma colere est vite calmee par la bonne nouvelle du jour: pour se faire pardonner, l'agence me propose de rejoindre un groupe de trois suedoises qui part faire une petite ballade sur les flancs du mont Meru. Mon sang ne fait ni une ni deux, j'accepte. Il faut dire que l'idee de cotoyer toute la journee trois blondes aux levres et formes pulpeuses, rien que pour moi, cela redonne du courage, de l'entrain et de la ....vigueur. Bien sur, a premiere vue ce ne sont  pas les sirenes revees mais tout de meme, un peu de chaleur feminine cela ne fait pas de mal et cela vous remonte... le... moral! Le depart sonne, nous commencons l'ascension. Mais rapidement je redecouvre le principal defaut des femmes.... Leur principal defaut c'est que ce sont, toute misogynie a part comme dirait Brassens ....des femmes....et donc ca piaille, et ca jaquette et ca jacasse! Impossible de trouver une minute de repit pour profiter calmement de ce paysage grandiose de plantations de mais et de cafe, docilement flanquees sur les collines. Il faut toute la nullite d'Onema le guide pour sauver la situation. Je me rends compte en effet au bout de trois heures de marche qu'il connait aussi bien la montagne que moi et que la cascade promise est bien loin d'etre atteinte. Fort de mon experience de randonneur solitaire auvergnat de cet ete, qui dit que quand on est perdu il faut toujours revenir au dernier point de certitude meme si cela prend des heures, je me permets poliment de suggerer a ce brave garcon que nous devons rebrousser chemin avant de finir la nuit qui avance a grand pas, a l'ombre d'un elephant ou d'un lion quelconque. Il ne faut pas oublier que nous sommes quand meme dans la foret tropicale d'un parc national en Afrique. Ce n'est pas la foret de St Germain en laye, chers amis! Il faut encore quelques kilometres de montees et descentes inutiles pour qu'Onema se plie a l'evidence: nous sommes perdus! Lachement, il utilise les renseignements des locaux qui surgissent dont je ne sais ou, machette a la main, pour toujours nous faire croire qu'il sait ou il est. Lorsque nous arrivons enfin sur la riviere et qu'il nous propose de remonter les pieds dans l'eau jusqu'a la cascade qu'on ne voit toujours pas d'ailleurs, c'est l'emeute. Les filles qui se sont brisees les chevilles et les fesses sur les pentes glissantes de la montagne et qui se sont fait gentiment piquer par des hordes de fourmis affammees, meme jusqu'aux parties intimes ( il est assez drole d'ailleurs de les voir se deshabiller devant moi, en criant pour echapper aux morsures assassines); ces filles donc ,de cette nature scandinave d'ordinaire si contenue, se mettent a menacer le guide. De ma bouche sortent egalement des mots tout droit sorti de films de gangsters americains: "i'm gonna kick your ass" ou "i'm gonna f... you", des mots que je n'ai jamais prononce de ma vie - en anglais j'entend. Nous decidons de nous rebeller et de prendre les rennes. Avec l'aide d'enfants Masais qui passent  par la,nous reussissons a retrouver la route principale. Je peux vous dire que mon degre de confiance pour la compagnie est au plus bas: dire que je pars demain avec eux! Je reussi a gagner inextremis le droit de payer le safari en deux fois: temeraire mais pas stupide tout de meme!

 


Le jour fatidique arrive. Je decouvre au matin que l'ordre du programme a change, tiens donc... Mes compagnons de route ne sont pas deux jeunes comme promis, mais un couple a l'allure improbable: une anglaise de 75 ans dont la betise et la decrepitude semble nous donner un avant gout de ce que sera Britney Spears dans quelques annees et Juma un Kenyan rigolo de 45 ans qui a l'air d'assumer completement sa tache de gigolo. Nous partons enfin ou presque: 40 minutes d'attente parce qu'ils ont oublie les sacs de couchage! Hum..hum cela se precise surtout que 45 minutes plus tard la voiture s'arrete sur le bas cote: surchauffe, le radiateur est mort! Cela me rappelle le Mecula du Mozambique! J'en perd presque mes nerfs et c'est le cote obscur du Pascal qui ressurgi: trop c'est trop! J'en viens meme a menacer de retourner en ville aller chercher la Police. l'argument a l'air d'avoir  du poids car lorsque la voiture de rechange arrive 1h30 plus tard, je reussis a gagner une ristourne de 40  dollars. C'est donc les nerfs a vif que nous rejoignons le Lac Manyara. Il faut toute l'elegance des flamants roses, toute la nonchalance des elephants et tout le cote debonnaire des girafes pour redonner la paix a mon esprit. Apres une nuit dans un camping qui ferait mourrir d'apoplexie en quinze secondes un inspecteur des services d''hygiene parisien , et apres avoir parlemente avec le nouveau guide pour respecter l'itineraire initial, nous rejoignons enfin le Serengeti et le Ngorogoro Crater.



 



Devant la magie de ces lieux, toute agressivite et tout ressentiment se brise comme la lame sur le sable. Les reves d'enfant reviennent des profondeurs de l'abime adulte, pour epouser la realite de facon osmotique. Il faut dire que c'est l'epoque de la grande migration. Tous les animaux sont donc concentres au meme endroit, aux abords du lac Ndutu. Des milliers, que dis-je, des millions de gnous sont la, autour de moi, protegeant leur petit qui vient de naitre. Ils se nourrissent d'herbe verdoyante , abondante en cette saison des pluies. Ils sont donc en securite car pas besoin de se risquer a aller s'abreuver aux points d'eau qui sont autant de chances de finir  au fond du ventre d'un crocodile ou d'un predateur mal intentionne. Je me delecte de ces minutes si rares et precieuses, mon Ipod sur les oreilles repassant en boucle le "casta diva" de la grande Maria Callas. Les nuages ne sont pas si hauts que cela finalement.... Le trajet de retour vers le Ngorogoro est epoustoufflant. montagnes desertiques au loin, coucher de soleil  de nature extraterrestre sur le cratere  lui meme et ses alentours.  Que dire egalement des guerriers et eleveurs Masais qui completent la carte postale? On les croit incrustes dans le paysage tant ils sont enigmatiques et vaporeux. Ils continuent a vivre comme si de rien etait, comme si le rugissement du flot des voitures ne les atteignait pas. Robes rouges, baton de berger dans les mains, sabre en bois et gourde de lait accroches a la ceinture ils gardent leur betail comme il y a mille ans, comme il y a une eternite. Leur silence les rend impenetrable et les protege de la modernite. Ici point de folklore, de la realite, juste de la realite. On se demande d'ailleurs comment font ils avec leur tenue legere et avec leur humble demeure de boue et de paille pour resister au froid qui vient mordre le cratere et presentement moi, a la tombee de la nuit. Ce froid si etrange apres deux moi de chaleurs tropicales ne vient en aucun cas gacher le spectacle de cette nuit silencieuse mais pleine de meditations, dans ce camping avec vue sur le cratere. Plus tard, on se reveille au bruit d'un buffle qui halete et broute pres de sa tente, et l'on se rendort comme dans un conte.


 


Le lendemain c'est le point d'orgue: reveil 5h30 pour aller surprendre les animaux dans le cratere devorer ou se faire devorer a la fraiche, car la chaleur de l'apres midi est peu propice a l'effort. Comme au premier matin du monde nous descendons les berges volcaniques multiseculaires. Il ne reste plus qu'a attendre et a observer. De fil en aiguille le spectacle de la vie animale s'offre a nous: lion repu gardant severement le reste de buffle qu'il vient d'abattre, guepard flairant sa proie, rhinoceros au loin, pachydermes, hippopotames et flamands roses dans le lac central, zebres, impalas. Tout les chainons darwiniens sont la .... jusqu'au dernier c'est a dire nous....Et oui, apres trois heures tres matinales de safari, on tourne la tete et l'on decouvre avec horreur le spectacle des hommes. C'est l'heure ou les touristes ont fini leur the et sortent de leur lodge, de leur tanniere. Et ce n'est plus deux ou trois voitures qui tournent dans le cratere, mais bien 50, 60 en file indienne. Les lionnes qui viennent chercher l'ombre sous les voitures, aux grands hourras des japonais en delire et vieux blanc bec bedonnant et chapeau colonial , semblent parfaitement avoir compris le jeu. Les roles s'inversent ce sont ces lionnes qui font leur safari car elles sont bien moins nombreuses que les voitures qui s'affairent autour d'elle , en quete de photographies . Elles se delectent avec plaisir de ces etranges animaux a deux pattes qui passent par la tous les matins: tel est pris qui croyait prendre! Le voyage de retour se fait sans encombres, si ce n'est la desormais habituelle panne d'essence. Harrasse par le soleil et par l'intensite de ces trois jours, plus rien ne m'atteint. Je reste enveloppe dans ma bulle de satisfaction estampillee Alain Bougrain Dubourg.


 


Malgre toutes les limites de ce type de tourisme et de l'irreductible connerie humaine qui gangrenera toujours la beaute primordiale de la nature, je ne regrette rien. Je garderai longtemps en mon coeur l'essence profonde de ces incroyables minutes et incroyables paysages et ce d'autant plus que bizarrement, mon appareil numerique a cesse de fonctionner normalement depuis Zanzibar, donc peu de photos! J'ai pu ainsi profiter pleinement de l'immersion dans l'instant. Ces moments sont desormais graves dans la pellicule de ma retine ou personne ne pourra jamais rentrer, et qui ne seront jamais integralement reveles. Aucune trace, aucun temoignage argentique, je garde en moi les tirages les plus precieux et ne peux que vous inciter a faire votre film a votre tour ou a laisser voguer votre imagination, comme une montgolfiere sur les savanes du Serengeti et Ngorogoro Crater.....

 

Je pars demain a Dodoma au centre du pays, dans la Tanzanie moins carte postale avec l'objectif d'atteindre le Lac Tanganiyka.

 

Affaire a suivre.....

 


 

Publié dans La route

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T
salut choco,<br /> quelques mots pour te dire encore bravo,ton voyage se poursuit ..<br /> un grand bravo au pascal "photographe" qui s'est complètement transformé au gré des jours et des rencontres, tes photos sont de plus en plus pro,gros plan,macro, photo en mouvements tout y passe..et déja un début dans la photo de ce que j'appelle photo d'ambiance et d'invitation...bravo <br /> bisous tony
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S
Je prends enfin un peu de temps pour t'accompagner dans ton voyages.  Ici le temps de vivre manque !<br /> Les quelques lignes que j'ai lu me rende jaloux de ton aventure. J'espère que tu mesures à chaque pas que tu fais de l'immense opportunité que tu as su saisir.  Mais je me demande comment Pascal nous reviendra-t-il transformé ?<br /> Saul la bricole ...<br />   
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C
Alors comme ça les filles jacassent et piaillent? Non, si peu...!!!!<br /> Le voyage continue, et pour moi, les yeux fermés, j'imagine les lieux, les paysages, les couleurs et les sons et le rêve se poursuit... Merci Pascal de partager ainsi avec nous ces moments tantôt un brin effrayants, tantôt magiques... C'est une délicieuse escapade de ce quotidien qui, en ce moment, m'harrasse un peu... Et il est vrai que les meilleures images restent dans l'esprit du voyageur, un instantané ne saurait jamais révéler la beauté des lieux et l'émotion de celui qui les comtemple...<br /> Un bisou,<br /> Take care,<br /> Céline.
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