Un dimanche a Kigali

Publié le par Pascal



Avant de partir, le Rwanda m'apparaissait de facon brumeuse comme une sorte de vague contree barbare ou une bande de brutes plutot noires, s'agitaient en faisant virevolter des machettes. Cette image a ete tragiquement  vraie pendant quelques mois en 1994 mais n'est plus evidement d'actualite. Je m'etonne de constater a quel point l'Homme est capable de cristalliser  l'image d'un moment pour le congeler  dans l'eternite de son ignorance. Il faut sortir de chez soi pour briser la glace et mettre le degivreur en route.

 Le Rwanda a plonge au plus profond des tenebres mais il renait  chaque jour un peu plus comme le Phoenix de ses cendres. Sa capitale, Kigali en est le symbole eclatant et le prouve par sa vitalite etonnante. La ville s'etale sur des kilometres et ressemble a un immense chantier. A partir du dit "centre ville" l'urbanisation est en marche et deborde en des coulees de constructions degoulinantes jusqu'a s'engouffrer dans les moindres replis des dizaines de collines constituant l'agglomeration. C'est une sorte de Dubai montee sur des montagnes russes. Lisbonne a cote, c'est le plat pays ...qui est  le mien, comme dirait l'autre aux longues dents. Bien sur cela manque un peu de charme car on l'impression d'etre dans une mega- banlieue parisienne, mais tout de meme il y a quelquechose qui prend aux tripes.... mais je n'arrive pas encore a definir exactement ce que c'est...

J'ai la chance des mon arrivee, de faire la rencontre de Uzie un rwandais  qui me demande poliment s'il peut s'assoir a ma table. Je lui repond aussi sec qu'il est beaucoup plus chez lui que moi, facon de lui dire que je ne viens pas en colonisateur et qu'il est bien sur le bienvenu a mes cotes. Sechement,a son tour il me fait comprendre que la terre appartient a tout le monde et que mes paroles sont infondees. Nos antennes mutuelles semblent se syntoniser sur la meme longueur d'ondes... Rapidement, le leger malaise initial laisse place a une forte connivence entre nous deux, et me voila dans sa voiture a apprecier la visite guidee de la ville. Mention speciale au quartier du president qui est non sans rappeller les agreables ruelles ombragees de Johannesburg, et egalement au quartier populaire de Nyamirambo dont les maisons agglutinees en terrasse sur les collines, recoivent a cette heure tardive de la journee leur comptant de soleil couchant.

 



Je prend mes appartements dans une chambre rustique appartenant au Centre Pastoral de la cathedrale St Paul, mais qui a l'avantage de donner sur un discret jardin prive, petit paradis fleuri et silencieux, havre inespere de paix au milieu des mugissements des voitures et autres tintamares citadins. La confidentialite des lieux me fait presque sentir chez moi, ce qui est plutot appreciable apres la brochette de guest-houses impersonnelles que mon pauvre corps encore tout vermoulu a ingurgite depuis ces mois.

Pas le temps de souffler que me voici deja  a souffler  quelques mousses avec Uzie et ses  accolytes au comptoir d'un bar. Ils me laisssent rentrer dans la Famille et j'en suis ravi. D'emblee je suis intrigue par le fait que le serveur m'amene deux bieres alors que je n'en ai demande qu'une. En tournant la tete je remarque que c'est le cas pour tout le monde. La multiplication des bieres peut etre... ou un acces soudain de strabisme  qui sait? J'apprendrais par la suite que la coutume rwandaise veut que c'est une offense et presque un crime que de n'offrir qu'un seul verre a son hote. Deux oui, quatre oui mais jamais un nombre impair car selon la legende, le dernier homme qui a bu une seule bouteille en a paye de sa vie et est mort instantanement a Runda.... Allez comprendre quelquechose a cette etrange histoire! Je mediterai la-dessus dans mes vieux jours... C'est donc par paire de bieres que je leur raconte comment fonctionne le systeme social francais. Leurs yeux commencent a sortir de leur orbites quand je leur explique les allocations chomage ( ils ont d'ailleurs du mal a me prendre au serieux quand je leur dit qu'il y a beaucoup de chomage en France 15% contre 60-80% en Afrique...), pour finalement devenir presque des balles de ping pong quand vient l'heure des allocations familiales! Et oui on donne de l'argent aux couples qui font beaucoup d'enfants. Vous imaginez en Afrique le nombre de millionnaires! Il est vraiment tres drole d'observer son propre systeme a travers les yeux d'un autre, avec une grille de lecture radicalement opposee, sauf quand il s'agit de l'esperance de vie qui, ne l'oublions pas est de moitie sur ce continent. A mon age les gens pensent deja a souscrire a une assurance obseques Norwich Union comme a la tele....enfin s'il en existait une et s'ils pouvaient se la payer... Le fosse entre nos deux mondes est immense....incommensurable. Je suis touche egalement par le desir d'avancer de ces amis rwandais qui poursuivent tous leurs etudes superieures malgre leur travail bien charge. C'est reellement un pays qui avance avec ses hommes. Les cahiers ont definitivement remplace les machettes.


L'amitie que me porte Uzie tombe a point nomme apres les doutes burundais. Au moment ou je desesperais de trouver un homme desinteresse dans ces terres australes, voila qu'il apparait comme par enchantement. Et c'est en cascade  que les eaux du respect jaillissent allant de l'un a l'autre. Ghad, un de  ces amis m'invite chez lui le lendemain. C'est la premiere fois depuis trois mois que quelqu'un m'invite chez lui. J'attendais ce moment depuis si longtemps! De maniere simple, je suis recu amicalement chez lui pour gouter un delicieux poisson. La modestie de sa maison et la timidite de sa femme n'enlevent rien a ma joie, bien au contraire.

 

Uzie c'est aussi l'homme des blagues et du rire. Entre deux brochettes de Zingaro, sorte d'andouillette de chevre grille au feu de bois ( oui je salive et vous sent deja saliver!) je passe toute cette nuit avec  une bande de joyeux lurons et luronnes a retrouver le plaisir de partager ensemble des blagues un brin sallaces et des sous-entendus un brin coquins, comme a la maison! Je baisse d'ailleurs mon chapeau aux femmes rwandaises qui sont reines a ce jeu la. J'apprend aussi ce soirla, de la bouche de ces comperes, des secrets sexuels africains que ma mere m'a defendu de nommer ici... Il faudra payer tres cher, chers amis pour que je vous en explique la substance, a mon retour, le prix de mon voyage par exemple!




La vitalite de Kigali on la retrouve aussi dans sa vie culturelle. Involontairement j'arrive au premier jour du Festival de Film du Rwanda qui s'etalera pendant toute la semaine. Des dizaines de courts et longs metrages cosmopolites, aux sujets divers mais tout de meme axes sur le theme du Genocide sont projetes un peu partout dans la ville. Voila comment je fais connaissance avec le film canadien "un dimanche a Kigali" ( tire du roman du meme nom) qui raconte une histoire d'Amour entre un journaliste occidental et d'une femme tutsi pendant le genocide. Il est projete en plein air au KIST l'une des universites de la ville. L'ambiance est joviale malgre le sujet douloureux. J'apprecie comme il se doit les envolees de rires et les applaudissements de la jeune foule lorsque le Muzungu et  la femme s'embrassent. Je pressens ainsi toute l'image caricaturale mais drole du blanc en Afrique. Je la vois clairement et je m'identifie completement au heros du film jusqu'a presque en impregner la pellicule. La fusion continue le lendemain lorsque je pars  passer l'apres-midi, et un dimanche en plus monsieurs dames,a l'Hotel des Milles Collines! Je reconnais les lieux vus la veillle sur grand ecran et cherche desesperement du regard la sublime heroine. J'ai du mal a ne pas me croire dans cet hotel au temps du genocide a l'epoque ou celui ci etait un des seuls lieux surs et de refuge de la ville.J'ai du mal a ne pas entendre les tirs de mitraillettes, a ne pas voir les corps des blesses que l'on amene en pagaille sur la pelouse, a ne pas sentir l'odeur de la mort de ces milliers de corps embaumant les rues de leur parfum macabre. Je revois toutes les scenes du film, j'imagine toutes les scenes de la tragedie passee. Seul un plongeon dans la fameuse piscine ou s'amusent a rire et jouer des enfants, me sortira  de ma torpeur filmo-genocidaire. Reveille toi Pascal, tu sais bien les machettes c'est termine!




Bien sur les machettes c'est termine mais cela n'empeche pas de se souvenir ou plutot d'apprendre ce que certains veulent nous faire oublier... car comment se souvenir si l'on sait pas ce qui c'est passe dans ces heures noires ou l'Histoire africaine devenait imperceptiblement, un peu Histoire de France...

Cela tombe bien je pars demain au musee-memorial de Kigali, puis a Kibuye ville tristement celebre pour ses exploits mortuaires.

Affaire a suivre...

 

Publié dans La route

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G
salut pascal,visiter ce site, cela m'a donné l'impression d'etre à tes cotés,t'écoutant raconter tes si belles aventures,j'ai vraiment cru un instant que tu étais à coté de moi tu sais?je suis tout simplement émue.merci pour toute la sympathie que tu as pu avoir pour le Rwanda.
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